Lu pour vous :  » J’ai testé la gym Ruffier pour les vieilles dames »

Lu pour vous, un article très sympa publié dans pressreader.com, bien que se faire qualifier de « vieille dame » ne soit pas le plus agréable.

J’AI TESTÉ… LA GYM POUR VIEILLES DAMES
Dans ma quête de remise à niveau permanente, j’ai bougé mon corps avec un manche à balai, et mes genoux m’en remercient.
GQ (France)24 Jul 2019 LE JEUDI ET SAMEDI À 11 HEURES, SUR LA PELOUSE QUI JOUXTE LA CITÉ DE LA MUSIQUE, À PARIS – SITE : GYMRUFFIER.COM

EXERÇANT UNE ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE sédentaire, je constate qu’au fil des années, ma souplesse de roseau pensant va s’amoindrissant. Voilà pourquoi j’ai choisi de tester la gym Ruffier après être tombé totalement par hasard, en me baladant dans le parc de la Villette à Paris, sur ce cours de remise en forme qui se déroule en plein air, sur une pelouse. Le premier contact visuel avec cette tribu de gymnastes en grande majorité féminines pourrait faire surgir en vous un questionnement du type : mais quelle est cette secte étrange ? Regroupées en cercle, des dames, dont un certain nombre aux cheveux grisonnants, se livrent à d’étranges mouvements avec un manche à balai à la main. Ne vous méprenez pas, il ne s’agit pas là d’une chorégraphie à la gloire des tâches ménagères ou d’un échauffement avant une partie de quidditch, ce sport collectif dérivé d’Harry Potter.

La méthode en question, dite de « culture physique fondamentale », a été inventée au début du siècle dernier par le Dr James-Edward Ruffier, célèbre médecin français, père de l’indice cardiaque qui porte son nom. Elle repose sur une règle physiologique qu’il résumait ainsi : « Tout organe qui fonctionne à plein se développe au maximum, tout organe qui fonctionne peu dégénère et s’atrophie. » En d’autres termes : ce n’est pas en surfant toute la journée sur Internet que vous allez obtenir des quadriceps en béton. Les animatrices bénévoles de ces sessions gymniques, dont l’accorte Françoise, m’accueillent gentiment et me proposent de venir essayer la semaine suivante. Je débarque donc comme convenu avec manche à balai et tapis de sol, puis prends place un peu en marge du cercle. Je dois être le seul homme de l’assistance, ce qui induit des effets grammaticaux amusants : ici, c’est le féminin qui l’emporte sur le masculin – « Allez mesdames, vous êtes prêtes ? Enfin, mesdames et monsieur… » J’ai tout de suite aimé l’ambiance bon enfant de ces sessions au grand air, en même temps que cette idée d’investir l’espace public qui, on l’oublie trop souvent, appartient à tout le monde. Faire de la gym dehors, sans l’encombrante instrumentation et la lumière artificielle que l’on trouve dans les clubs, s’accompagne d’un sentiment de réappropriation territoriale (la ville entière devenant mon chez-moi) et sensuelle (on sent sur sa peau les éléments – le vent, le soleil, la bruine).

PARCE QU’ILS SONT HABITUÉS à pratiquer la gymnastique dans les parcs, les Asiatiques s’arrêtent d’ailleurs souvent à côté du petit groupe de gymnastes, miment quelques exercices, puis s’en vont. Il faut dire que les mouvements exécutés à l’aide du manche à balai (ou d’une barre) sont incroyablement simples et amusants. Ils s’inspirent, pour certains, de gestes de la vie rurale (comme le fait de creuser la terre, par exemple) et portent des noms qui parlent à tout le monde : le treuil, le fauchet, la pioche… Adapté du ski, un mouvement consiste à mimer la godille pour assouplir les chevilles, quand un autre, dérivé de la gestion des placards, invite à se mettre sur la pointe des pieds, comme si l’on attrapait un paquet de Chocapic en hauteur. « Vous venez vous entraîner avec nous ? » s’amuse l’animatrice de la séance en s’adressant aux moutons noirs qui tondent la pelouse avoisinante. La séance, qui sollicite en une heure quelque 600 muscles ainsi que les 63 articulations principales, se déroule rituellement de la même manière : d’abord debout pour travailler le haut du corps, les jambes et le dos, puis au sol, pour les abdos et le reste. Chaque séquence est entrecoupée de respirations profondes et d’étirement.

Sans ésotérisme caché sous le tapis, cette méthode extrêmement complète fait du bien, à la tête et au corps. Alors qu’on est allongé au sol, les yeux plantés dans le ciel pendant une série de ciseaux, elle permet de contempler les nuages qui défilent, les oiseaux qui volent et les avions qui passent. Exigeante et populaire (la cotisation annuelle ne dépasse pas les 40 euros), cette activité de plein air, emblématique du patrimoine sportif français, m’a aidé à reconquérir quelques gestes simples dont j’avais, sans même m’en apercevoir, perdu en partie la maîtrise. J’arrive donc à nouveau à m’accroupir lorsque je cherche un yaourt au rez-de-chaussée de mon frigo, sans avoir les articulations qui sifflent. À la fin de cette heure vivifiante, les gens se quittent poliment ou discutent un peu sur la pelouse. « Allez les filles, à la semaine prochaine ! » lance Françoise, me donnant l’étrange sentiment d’avoir changé de sexe.